Lexiques des termes particuliers
Allness – Grand Tout. En fait, on aurait pu parler de la totalité des choses, ou de l’Esprit des choses au sens large. Dans la pensée de C.F., il n’existe pas nécessairement un Dieu superviseur, mais plutôt un mouvement ou une chorégraphie d’ensemble qui orchestre toutes choses. On retrouve dans Le livre des damnés l’expression «The Oneness of Allness», traduisible sans doute par « La cohésion du tout ».
Advanced sismology – Notions avancées de sismologie. Un peu comme C.F. parle de supergéographie et de superbiologie, en faisant allusion aux horizons qui devraient s’ouvrir si l’on découvrait des liens terrestres avec le milieu externe, on pourrait aussi parler de supersismologie, pour peu que l’on tienne compte de l’influence des secousses sismiques qui se produisent ailleurs dans le cosmos et qui trouvent une voie priviliégiée d’influence sur les volcans terriens.
Ascendant – Esprit du siècle, ou dominante. Chaque siècle du parcours humain a subi l’influence de l’état des connaissances. Par exemple, avant 1803, il n’était pas admis que des pierres puissent tomber du ciel. D’où l’impossibilité du concept des météorites. Fort a répété à quelques reprises dans ses oeuvres que l’alchimie d’hier constituera la science de demain.
Atavism of no functional value – Atavisme obsolète. C.F. fait allusion à des caractères ancestraux – telle la capacité de produire spontanément du feu, par exemple – qui n’aurait plus d’utilité dans un contexte de modernité.
Continuity – Continuité, ou contiguïté.
« Everything merges away into everything else », a écrit Fort dans « Le livre des damnés ». Le principe de continuité avancé par lui veut qu’il n’existe pas de frontière ou de démarcation nette entre toutes choses, tous phénomènes. Bien que toutes les manifestations tendent à marquer leur unicité, elles doivent pour ce faire tenter de se détacher en quelque sorte d’un tronc commun.
Exclusionnism – Exclusionnisme. Ce néologisme parle de lui-même. L’exclusionnisme est l’action d’exclure les faits et les données qui ne s’intègrent pas dans un système de connaissances organisé. La science avance pourtant à tâtons; au lieu d’exclure les faits pour lesquels les gens de science ne peuvent fournir d’interprétation immédiate (comme dans le cas de la télépathie, par exemple, ou de la téléportation), la science gagnerait à faire d’abord preuve d’ouverture. C’est bien contre le manque d’ouverture des corps scientifiques que Fort s’est battu. En privant l’être humain des données, il le prive de sa capacité à penser.
Explainer – Dogmatiseur. Celui qui, devant un fait incongru avec le système de connaissances, trouve une explication commode en laissant de côté les débordements irréconciliables. Le dogmatiseur a souvent recours à l’explication par «le poissonnier» ou par «le sable du désert» pour justifier la présence au sol d’une chute de nature et de proportion étranges.
Expression – «Our expression is that…» Ce terme a été choisi par Fort avec la volonté de se montrer toujours dans un processus intellectuel d’opinion variable, de supposition, d’hypothèse ouverte. Il y a peut-être même là un clin d’œil à «l’expression mathématique», si chère aux scientifiques en quête de pureté. Bref, le terme était un peu délicat à rendre en français, de sorte que le traducteur a souvent utilisé des paraphrases pour rendre l’intention du moment.
Fishmonger – Poissonnier (aussi dans le sens de vendeur de menu fretin). Voilà un terme difficile à rendre si l’on veut y donner l’humour volontaire de Fort. Un peu comme le tourbillon de vent aura été l’explication commode des chutes sélectives de manne ou de grenouilles, le poissonnier est le personnage de service dans toutes les chutes de mollusques aussi massives qu’inexplicables.
Genesistrine – Génésistrine. C’est le territoire d’une idée, le lieu d’où émanent peut-être le nostoc, les petites grenouilles et autres créatures destinées à participer à la colonisation de la Terre. Aujourd’hui, les scientifiques parlent de possible colonisation terrestre par panspermie. L’hypothèse de Fort était géniale en soi.
Hyphenated state of existence – État intermédiaire de l’existence. On pourrait aussi parler de l’état de l’entre-deux, puisque rien n’est absolument positif ni absolument négatif. Cette condition des phénomènes qui marquent notre réalité humaine se révèle dans l’état de cohérence-incohérence des choses, de certitude-incertitude des préceptes qui construisent notre compréhension du monde, de régularité-irrégularité des systèmes, et ainsi de suite. Dans cette optique, un organisme caritatif ne peut pas produire que des effets bénéfiques, malgré sa tendance vers le bien; par son influence, il contribue à produire un déséquilibre, comme dans toute action-réaction.
Intermediateness – Intermédiarité. Pour nombre des notions qu’il avance, Charles Fort doit recourir à des néologismes. L’intermédiarité est l’état de l’entre-deux, quelque part entre deux bornes absolues, le réel et le non-réel. Fort va même jusqu’à parler de «Hyphenated state of existence» ou bien du «hyphenated state of phenomenal being» pour bien faire ressortir la notion d’un état non achevé; rien n’est complètement cohérent ni complètement incohérent; rien n’est complètement rien ni complètement faux, etc. Tant que notre existence se situe dans l’état intermédiaire, les phénomènes sont des manifestations qui cherchent à atteindre un absolu d’identité et de réalité. Vaine tentative.
Lo! – Pourrait se traduire par «voilà!» ou «tadam!». Beaucoup de lecteurs ont posé la question au traducteur de Fort quant au sens de ce terme. «Lo!» semble apparaître d’abord dans un texte associé à la bible, à l’occasion de l’apparition de l’étoile des mages. Depuis, les astronomes anglais et américains auraient utilisé l’onomatopée pour signaler la découverture d’une nouvelle étoile dans le ciel, en particulier à l’endroit où des yeux calculateurs se se sont posés.
Localize the Universal – Implanter l’universel à l’échelle locale. En cherchant à expliquer les phénomènes particuliers qui se présentent à nous, observateurs, nous tentons de leur donner une valeur universelle en tirant des généralités, en les rangeant dans des catégories. Ce qui revient à dire que nous nous formons un point de vue sur le général sur le fondement du particulier.
Mentalism – Le mentalisme est à la métaphysique ce que l’empirisme est à l’épistémologie. Rien ne nous confirme que les impressions que nous ressentons correspondent bel et bien à un environnement en dehors de nous. À dire vrai, les partisans du mentalisme réfutent que nos impressions internes soient en lien avec une réalité externe. Ce pourraient être de simples idées. De l’avis d’un mentaliste, une chose n’existe pas à moins de se former d’abord dans un esprit. Il n’y aurait pas de véritable monde physique. De ce fait, serions-nous tous soumis aux fabrications de notre esprit et de l’esprit de nos semblables?
Organic existence – Existence organique. Charles Fort s’est targué d’avoir jeté les bases de la cosmoembryologie. C’est dans l’ouvrage « Nouvelles terres » qu’il présente en détail l’idée d’un système solaire contenu dans une coquille de gélatine et en rotation. Cette coquille laisserait passer par des perforations (les étoiles), la lumière d’une existence externe. Rappelons-nous que Fort était un libre penseur qui ne croyait pas davantage ce qu’il avançait que ce qu’il rejetait. L’allégorie est intéressante; il faut dire que le gegenshein – la réflexion de notre soleil sur un fond céleste, ou lueur antisolaire – cherche encore une explication solide. Cette idée d’existence organique dans une coquille donnera un matériau à la construction des idées de courants transporteurs vers la Terre… et du sujet de la téléportation au cœur de l’ouvrage « Lo! ».
Positiveness – Absoluité, ou plus simplement l’absolu positif. C’est en quelque sorte la réalisation ou la Réalité, c’est-à-dire l’état absolu à atteindre pour qu’un phénomène sorte de son état d’expression intermédiaire. L’allégorie de la transfiguration illustre l’idée du passage à l’état positif absolu.
Quasiness – Quasi-état. Il s’agit de l’état dans lequel nous sommes et que nous prenons pour réalité. Tant que nous nous résumons à des tentatives de matérialisation, tant que les phénomènes qui nous entourent semblent variables et parfois insaisissables, nous devons envisager la possibilité que nous évoluions dans un monde d’apparences et de sensations, entre néant et réel. Notre pensée serait elle-même un fantôme.
Teleportation – Téléportation. C’est bien un terme inventé par Fort et qui a servi d’hypothèse de travail à l’oeuvre «Lo!». Fort imagine des courants qui connectent des mondes, et qui servent de canaux pour transporter des fleuves, des cailloux ou encore des créatures vivantes, y compris les humains.